Pourquoi j'ai signé la lettre demandant à Québécor d'encadrer ses chroniqueurs et autres intervenants qui se permettent des propos violents et parfois diffamants, en regard de sa demande de fonds public pour, affirme monsieur Péladeau sans rire, offrir une meilleure information, fiable et de qualité.
Je pourrais dire que c'est parce que soit monsieur Péladeau vit sur une autre planète et n'a pas accès à ses organes d'information, ou parce que c'est une triste blague qui ne fera non plus rire personne et qu'on doit le rappeler à la triste réalité.
Mais je m'en tiendrai à mes raisons à moi. D'abord, je dois préciser que ce n'est sûrement pas pour me protéger, moi, il y a peu de risques que je sois jamais une cible qui attirera les foudres de ces thor de pacotille. Je suis une vieille quasi nobody, blanche, cisgenre, hétéro, mariée et vanille jusqu'à donner à la vanille l'envie de changer de nom, et parfaitement athée. Tellement conventionnelle que j'en baille quand je m'aperçois dans un miroir. Quant à être une extrémiste ou radicale de gauche, je n'ai jamais eu ce courage. «Mourir pour des idées d'accord, mais de mort lente... », paroles de Georges Brassens qui ne me définissent pas si mal finalement. D'autant plus que je n'ai pas seulement survécu mais aimé les 15 années que j'ai passées au service aux contribuables d'une des agences gouvernementales les plus straight et les plus honnies et que, même si mon focus était d'aider les contribuables, j'en respectais rigoureusement les directives, règles et règlements. Quant à être woke, je ne sais toujours pas ce que c'est, chacun définit le wokisme selon ses antipathies. Bien sûr, il reste que je suis une boomer mais personne, absolument personne ne peut m'atteindre sous cet angle : je suis fière et heureuse d'avoir été de ceux, avec la génération précédente, qui ont permis au Québec de s'affirmer et d'essaimer dans sa langue et avec ses valeurs, enfin désencarcané de la religiosité étroite qui l'emprisonnait et du petit pain qui l'étouffait. Je suis fière et heureuse d'avoir vécu et de vivre libre dans mon corps et dans ma tête. Cette liberté je la dois entre autre à la tolérance et à la différence. À rencontrer et connaître l'autre, les autres, j'ai trouvé ma place dans le monde sans honte et sans forfanterie. Banale et ordinaire sans honte et sans forfanterie.
Pourtant, à la minute où j'ai reçu l'invitation à signer ce texte, je l'ai fait sans la moindre hésitation. Pour tous les coups de pieds au ventre que ces chroniqueurs et autres intervenants m'ont infligés au fil des ans. Pour la douleur, la colère, le mépris frisant la haine envers eux qui tentent et parfois réussissent à coudre la bouche de ceux qui osent affirmer leur différence ou leur dissidence, avec le fil barbelé d'insultes qui frisent la diffamation. Non, ma signature n'est pas un appel à la censure, même s'ils se taisaient jusqu'à la fin des temps, ce sont toujours eux qui ont été, sont et qui resteront les vrais censeurs. J'ai signé pour la honte de participer à une société qui produit, tolère, encourage et finance les discours infamants de ceux qui la salissent et la corrompent à la petite semaine. Chevaliers miteux à la défense de conventions douteuses, héraults de la liberté d'oppression qui font flèche de tous bois pourris, en toute mauvaise foi, ne dédaignant de s'attaquer ni à l'apparence, ni à l'intelligence, ni à la précarité du statut, ni aux choix de vie de ceux dont l'essence ou les circonstances leur échappent, avec une nette prédilection pour les femmes. Transformant sans vergogne les Musulmans en islamistes et les Musulmanes en poltronnes qu'il faudrait protéger d'elles-mêmes, les féministes en hystériques, les gagnants en tricheurs, les immigrants en abuseurs. Créant des normes à la mesure de leur méchanceté. Les normes ne sont jamais que des fictions auxquelles personne ne correspond, ouvrant ainsi la porte à des attaques gratuites nées de leurs peurs et de leurs préjugés.
Depuis des années, j'ai eu beau les éviter autant que faire se peut, fuyant les medias où ils sévissent, un vent malsain finit toujours par charrier les miasmes de leurs propos jusqu'à moi au vu des blessures qu'ils infligent aux gens et aux groupes qui m'importent, le plus souvent simplement parce qu'ils tentent de faire au moins de notre monde, un monde meilleur. J'ai signé pour tous ceux et surtout celles qui ont survécu à leurs attaques et qui portent encore leurs paroles et leurs actions au-delà des rebuffades, de la dérision et des affronts. J'ai signé pour tous ceux et celles qui ont abandonné, épuisés, qui ont choisi ou se sont résignés à agir ailleurs et autrement que dans l'espace public. J'ai signé pour tous ceux et celles qui ont été blessés, humiliés, bafoués indirectement, par le biais d'une personne aimée, respectée ou encore qui ont été atteints à travers une ou plusieurs d'entre elles dans leur foi, leurs convictions, leurs luttes, leur vulnérabilité.
J'ai signé par solidarité. J'ai signé parce qu'il faut que ça cesse.
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